Il a passé le procès à se cacher. Deux semaines où Youssef Aït Boulahcen, le frère cadet d'Hasna, morte avec les terroristes dans l'appartement de Saint-Denis, a dissimulé sa tête sous une veste en rentrant dans la salle d'audience, ou sous son écharpe, lors des débats. Comme s'il ne voulait pas montrer son vrai visage.
"Le plus médiatique n'est pas forcément le plus dangereux"
Selon le procureur de la République, Nicolas Le Bris, il est pourtant celui qui a "le profil le plus inquiétant". "Les médias parlent du procès Jawad. Mais pour moi, c'est avant tout le procès de Youssef Aït Boulahcen ! Le plus médiatique n'est pas forcément le plus dangereux", a déclaré le magistrat ce mardi, à l'occasion de ses réquisitions.
C'est d'ailleurs contre ce jeune homme de 25 ans, pourtant jamais condamné, qu'il a pris les réquisitions les plus sévères : 5 ans d'emprisonnement, la peine maximale possible pour "non-dénonciation de crime terroriste".
Alors qui est vraiment Youssef Aït Boulahcen ? Le procès, le premier en lien avec les attentats de Paris, n'a sans doute pas permis de répondre totalement à cette question. Youssef Aït Boulahcen, qui comparaît libre, a été le premier à s'expliquer devant la cour, au premier jour de l'audience.
Enfant battu par sa mère, placé en famille d'accueil
D'une voix calme et posée, ce jeune homme grand et mince, petites lunettes noires, a expliqué son enfance compliquée, ballottée entre deux familles. Battu par sa mère, il est placé à l'âge de 7 ans et demi, dans deux familles d'accueil, "une algérienne la semaine, une française le week-end" : "j'ai eu la double culture."
Ses relations avec son père sont inexistantes, celle avec ses deux sœurs - Hasna est l'aînée - et son frère distendues. En 2014, il retourne pourtant vivre avec sa mère. Après plusieurs petits boulots, le prévenu de 28 ans est désormais ambulancier. Il a aussi changé son nom de famille, "dans (s)on intérêt et celui de (s)es futurs enfants". Son casier judiciaire est vierge.
Se retrouve-t-il pour rien devant le tribunal correctionnel de Paris, aux côtés de deux petits délinquantes notoires et multirécidivistes, Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah ?
Ce n'est pas la position des juges d'instruction, qui ont décidé de le renvoyer devant la cour. Youssef Aït Boulahcen a été en contact quasi-constant avec sa sœur Hasna, alors que celle-ci cherche une planque pour les deux terroristes, dont leur cousin, Abdelhamid Abaaoud. Sur son téléphone, sur son ordinateur, saisis lors de perquisitions, les enquêteurs retrouvent de la propagande djihadiste, des fichiers et documents antisémistes, des messages homophobes.
Les lions en photo de profil ? Pas une référence au "califat" autoproclamé de Daech, ce sont juste "des félins qu'(il) apprécie". Les fichiers appelant au djihad ? "C'était pour m'informer." Les homosexuels à jeter du haut des tours, "comme le fait Daech" ? "C'était une conversation privée avec mon meilleur ami, mes mots ont dépassé ma pensée."
Je n'adhère ni à cette idéologie ni à leurs principes, je l'ai dit, je le dis et je le redirai
"On a essayé de me faire passer pour un monstre, les enquêteurs ont mis en avant des éléments qui tendaient à faire croire que j'étais radicalisé, se défend-il à la barre. Je n'adhère ni à cette idéologie ni à leurs principes, je l'ai dit, je le dis et je le redirai." Et à l'audience, il n'hésite pas à charger Hasna : "Elle voulait faire du buzz, elle cherchait toujours à se faire remarquer. Elle est psychologiquement instable. Elle a besoin de s'inventer une vie et une religion. Tout ce qu'elle me dit, je le prends au second degré."
Il dit ne pas avoir reçu ses messages ou ses appels, ou ne pas avoir compris ce qu'elle voulait dire. "Ce qui m'a manqué pour aller voir la police, c'est la clarté. Je n'ai aucune preuve, aucune certitude qu'Hasna veut aider des terroristes", ajoute-t-il encore à la barre.
Des dénégations qui n'ont pas du tout convaincu les avocats des parties civiles, ni le procureur de la République. "Il est le mieux placé pour savoir le risque, le danger que représentent les actions d'Hasna. Il est le mieux placé pour comprendre, et donc pour agir", a déclaré la semaine dernière Me Frédérique Giffard.
"Sur la radicalisation, on a tous les éléments qu'on retrouve d'habitude dans les dossiers de filières terroristes ou de départ sur zone (irako-syrienne). On a affaire à quelqu'un qui adhère parfaitement à l'idéologie de l'État islamique", dit même le procureur de la République, Nicolas Le Bris. Qui insiste encore : "Ce silence qu'on lui reproche n'est pas le premier silence. Il n'a jamais non plus dénoncé la radicalisation de sa sœur Hasna."
"Des amalgames" dénoncés par l'avocat de Youssef Aït Boulahcen, dans sa plaidoirie ce mardi. "Le seul fait de consulter des fichiers (djihadistes) vaut désormais d'être suspect (...). Est-ce que c'est une préjustification de la peine ? Est-ce que ça mérite d'être utilisé comme preuve pour préfigurer d'un crime ?", a plaidé Me Florian Lastelle.
"Je cherche encore quel crime on lui reproche, a poursuivi l'avocat. La question qu'on se pose légitimement, c'est de savoir ce qu'il a manqué à Youssef Aït Boulahcen pour dénoncer Hasna. C'est de l'avoir vue, c'est d'avoir vu Abdelhamid Abaaoud et c'est d'avoir eu les informations dont disposait la colocataire d'Hasna (qui a dénoncé les deux terroristes à la police, NDLR)." Il a demandé la relaxe.
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